Uncategorized

L’illectronisme: comment un illettré peut-il enseigner ?

image de Unsplash

Illectronisme : maîtrise insuffisante des compétences numériques de base, nécessaires à toute personne pour effectuer de manière autonome les actes de la vie courante. (Maroun, 2022)

Ça fait déjà un peu plus d’un an que ChatGPT est entré dans nos vies. 

Qu’on le veuille ou non, l’I.A. est venu perturber le monde de l’éducation à une vitesse fulgurante. Si au début il s’agissait pour plusieurs d’une autre curiosité numérique, elle est vite devenue une incontournable dans presque toutes les sphères de la société.

En éducation, certains font encore le choix d’ignorer l’intelligence artificielle générative. Ces mêmes pédagogues espèrent que les élèves ne vont pas découvrir cet outil révolutionnaire.

 “Si les élèves commencent à utiliser l’I.A. dans leurs travaux qu’est-ce qu’il va me rester à leur enseigner ?

La question est légitime. Cette technologie est en effet déroutante par sa simplicité et son efficacité.

Faire face au changement

Devant le changement il est impossible de rester neutre, on ne peut qu’avoir deux réactions : changer intentionnellement ou subir le changement.

Lorsqu’on ignore ou refuse le changement, cela crée de l’inconfort, de la frustration et un sentiment de perte de contrôle. Comme si le train avait quitté la gare et qu’on était resté sur le quai.

Certains enseignants tentent de retarder le changement en ne voulant pas se faire damer le pion. Ils veulent éviter de mal paraître en essayant de rester un pas devant les élèves: ils ont copié un travail d’internet, allons voir dans Turnitin pour en découvrir le niveau d’authenticité.

Bien sûr, on peut encore utiliser des logiciels/ applications pour voir si le travail a été fait par un I.A., mais je vois quelques problèmes avec ça. 

Premièrement, ces outils sont moyennement efficaces et peuvent être facilement déjoués par les élèves qui s’en donnent un peu la peine.

 Deuxièmement, essayer de prendre les élèves la main dans le sac c’est nier la réalité. Je le répète depuis plusieurs années (bien avant l’arrivée de l’I.A.) si les élèves trichent sur nos évaluations/travaux, cela en dit peut-être plus sur la qualité de nos évaluations/travaux que sur la qualité de nos élèves.

Bref, il est déjà évident qu’une grande partie des tâches que nous demandons aux élèves peut être faite en moins d’une minute par l’I.A. Comme l’a constaté un de mes amis: ça prend maintenant plus de temps pour formuler la question que pour obtenir une réponse.

Ok, donc on fait quoi maintenant ? 

Tout change lorsqu’on embrasse le changement, qu’on monte dans le train. Premièrement cela a tendance à augmenter notre sentiment de compétence, on est juste assez déstabilisé pour pouvoir continuer à grandir. Deuxièmement, parce qu’on se sent compétent, on peut être un peu plus autonome face à cette nouvelle technologie, elle ne nous contrôle pas. Troisièmement, plus on la maîtrise, plus  on en arrive à créer des liens entre cette nouvelle techno et notre vie, nos besoins. Bref, le sentiment de compétence + sentiment d’autonomie + le sentiment de connexion; on obtient une personne motivée. (Ryan et Deci, 2000)

On saute dedans!

Cependant, avant de commencer, il faut réfléchir en portant un regard critique sur nos programmes cadres/curriculums.  Il faut se questionner sur la pertinence de ces derniers à la lueur de cette nouvelle réalité qu’apporte l’I.A.

Que faire quand la vie change plus vite que le programme ?

Pour reprendre les mots d’une ancienne collègue, le curriculum est un contexte dans lequel on enseigne notre matière, il nous dit quoi enseigner, pas comment le faire. Il ne faut surtout pas que le curriculum devienne un prétexte à la stagnation pédagogique.

D’accord, mais en salle de classe,  ça ressemble à quoi ?

  1. Éduquer

Premièrement, plus que jamais, il faut que les élèves sachent comment utiliser les outils numériques de manière éthique et responsable. Bref, il faut que les élèves soient formés à la littératie numérique. Qu’ils apprennent à utiliser l’I.A. comme un tuteur, un co-pilote.

Par exemple, comment demander à ChatGPT de l’aide pour rédiger ou corriger un texte ? Alice Keeler a produit une série de questions concrètes pour outiller les élèves à l’utilisation éthique de l’I.A. comme un tuteur. Je vous partage ici les affiches que j’en ai fait pour ma classe (traduites en utilisant l’I.A. 😀).

  1. Ajuster

Comme je le disais plus haut, on doit se questionner par rapport à ce qui sera pertinent dans notre matière. Pour ma part, j’enseigne le français et les études sociales. Je crois que les habiletés en lecture et en communication orale prendront la pôle devant les compétences en écriture pour comprendre le monde. 

Je crois aussi que mes élèves auront besoin d’utiliser davantage leur créativité, leur esprit de collaboration, leur pensée critique et toutes les autres compétences transférables. Quelle belle occasion de mettre les apprenants en action. A.J. Juliani mentionne que les “performance task” (saynètes, expériences scientifiques, manipulations, constructions, etc) devraient prendre plus d’importance dans cette nouvelle réalité. 

  1. Réorienter

Un peu comme quand notre GPS rencontre une fermeture de rue imprévue et doit modifier le trajet pour nous amener à destination, l’arrivée de l’I.A. générative nous demande aussi de faire une telle manœuvre. Chaque avancée technologique nous fait remettre en question ce qui doit être enseigné.

Combien d’entre nous sommes capables de calculer une racine carrée sans calculatrice ?

Depuis un moment déjà, les pédagogues utilisent les productions, les conversations et les observations (la triangulation) pour porter un jugement par rapport à l’apprentissage de leurs apprenants. Je crois qu’il est peut-être temps de remettre en question ce modèle. Est-il temps d’accorder un peu moins d’importance aux productions pour laisser plus de place aux conversations et aux observations ? 

Plus que jamais, je dois me questionner sur le “pourquoi” de ce que j’enseigne. Auparavant, la remise d’un travail de qualité par mes élèves était garant d’un apprentissage concret. Aujourd’hui, avec l’I.A., l’élève peut remettre une production de qualité sans avoir appris. Comment alors vérifier qu’il y a belle et bien eu un apprentissage ? C’est ici que les conversations et les observations prennent leur importance.

Et si l’apprentissage passait davantage par le processus que par le résultat final. Sans faire disparaître les productions, celles-ci devront prendre des formes différentes (voir A.J. Juliani ci-haut). 

Et nos collègues dans tout ça ?

Pour la plupart d’entre vous, ce virage s’effectuera relativement bien. Qu’en est-il de l’illectronisme de certains collègues, ceux qui sont affligés d’un illettrisme numérique ? Ils n’ont pas la capacité d’éduquer, d’ajuster ou de réorienter pour la simple raison qu’ils ne savent pas comment. Il est malheureusement encore commun d’avoir des enseignants qui sont incapable de partager un Google doc.

Nous devons les appuyer, les aider, les inclure dans nos conversations, faire en sorte que le plus de monde possible dans nos milieux fassent partie de la solution. 

Chaque fois qu’une technologie d’importance surgit, elle laisse derrière elle des personnes qui refusent et/ou qui sont incapables de l’adopter. Le fossé technologique a été mis en évidence lors de la pandémie, et l’arrivée de l’I.A. ne fera rien pour réduire cet écart. 

Bien sûr, il est encore possible de faire apprendre ses élèves avec un minimum de techno. Mais la technologie est un accélérateur à l’apprentissage. L’arrivée de l’I.A. en éducation vient mettre des moteurs à réaction à un planeur.

Pensez aux bienfaits pour les élèves ayant des besoins particuliers: on peut en quelques secondes utiliser l’I.A. pour générer des textes à leur niveau et selon leurs intérêts. 

Bref, il ne faudrait surtout pas que l’I.A. vienne créer un clivage dans la qualité de l’enseignement offert aux élèves. Ne pas utiliser le plein potentiel de l’I.A. en éducation serait comme piloter un avion sans utiliser les outils technologiques mis à sa disposition. 

Ça ne volera pas haut!

(Ce texte n’a pas été rédigé par une IA 😉 )

Ressources et inspirations

bienveillance, relations

2 histoires, 6 leçons, 1 page blanche

Le droit au changement

Il y a quelques années, alors que j’enseignais dans une autre école, j’avais une classe très difficile. Parmi les élèves de cette classe, un en particulier ressortait du lot, je vais l’appeler Bob pour les besoins du texte ici. J’avais beau essayer toutes les approches, il n’y avait rien à faire, je n’arrivais pas à connecter avec celui-ci. Son comportement rendait l’atmosphère de classe infernale et peu propice à l’apprentissage. 

Chaque jour j’essayais d’arriver avec une attitude positive, mais c’était peine perdu, Bob ne voulait pas travailler, il me lançait des insultes ainsi qu’aux élèves. Malgré les discussions avec l’élève, ses parents, les suspensions et autres conséquences: Bob demeurait fermé comme un cadenas dont je ne pouvais pas trouver la bonne combinaison. 

Je n’étais bien sûr pas le seul à vivre des difficultés avec Bob, mes collègues et moi nous partagions nos difficultés. Bref, tout le monde était à bout de ressources et de solutions.

Transportons-nous quelques années plus tard. Alors que j’enseigne dans une nouvelle école, je croise un élève qui ressemble à s’y méprendre à Bob.

 Après vérification, il m’avoue timidement que c’est bien lui. Il n’ose pas trop me regarder, craignant ma réaction. Dès que je commence à lui dire que je suis content de le revoir, je peux voir son stress redescendre.

Dans les semaines qui suivent, je croise Bob à l’occasion, à chaque fois je me fais un devoir de le saluer au passage. Un jour alors que j’étais en surveillance aux autobus, Bob passe à côté de moi et me dit : 

“tu sais monsieur, je réalise maintenant que tu étais un pas mal bon prof, j’étais juste un mauvais élève”.

J’en suis resté bouche bée. Quoi répondre quand ces paroles sortent de la même bouche qui, quelques années auparavant, vous invectivait. 

Dans les semaines suivantes, nous avons eu l’occasion de parler de sa “transformation” et Bob m’a avoué qu’il a changé d’amis, de milieu et que cela l’a grandement aidé. Je soupçonne qu’il y a sans doute plus qui se cache derrière cette transformation radicale, mais si Bob, sans aucun doute l’élève le plus difficile que j’ai eu en carrière, est arrivé à faire un 180° pour devenir un élève sérieux, cela est à la portée de tous.

Sauf que…

Des “Bob”, ces “terreurs” que l’on voit arriver dans nos classes, il y en a dans toutes les écoles. En début d’année, les enseignants s’échangent des informations sur les élèves et bien sûr il faut parler de “Bob” et de ses frasques des années précédentes. Il faut être prêt à montrer à “Bob” que cette année c’est moi le patron et que le party est fini.

Mais on oublie parfois un GROS détails…

Les enfants, il faut leur donner non seulement le droit de changer, mais aussi l’espace pour le faire. Leur laisser la chance de se réinventer.

Ce qui m’amène à ma deuxième histoire. Il y a plusieurs années, je parlais à une autre des “étoiles” de mon école. Un élève très turbulent, parfois insolent, régulièrement en retard et souvent suspendu.

Celui-ci me disait qu’il n’aimait pas que les profs connaissent son nom avant de le rencontrer. Car pour lui, c’était la preuve que cet enseignant avait entendu parler de lui et de ses frasques et qu’il s’était déjà fait une opinion (défavorable) à son sujet avant même d’apprendre à le connaître pour vrai.

Donc cela faisait en sorte qu’inconsciemment il se disait : “tu crois que je ne suis pas un bon élève et que je vais te donner des problèmes toute l’année ? Attache ta tuque, t’as rien vu encore!”

Donc quelles sont les leçons à retenir de ces élèves turbulents ?

  1. Les élèves qui sont devant nous ne sont pas des produits finis. Il faut se rappeler que peu importe leur âge, même les grands qui ont l’air d’adultes, sont en perpétuel devenir. C’est un de nos rôles de pédagogue de les aider à devenir des personnes respectueuses et responsables. Donc arrêtons d’être surpris et outré quand un élève a des écarts de conduite. Essayons plutôt de trouver de nouvelles approches pour essayer de connecter avec lui. 
  1. Nos élèves ont des vies hors de l’école. Je ne vous apprends rien en vous disant que certains de nos élèves vivent des choses qu’aucun enfant ou même qu’aucun humain ne devrait vivre. Je soupçonne que mon élève Bob vivait des choses difficiles qui rendaient sa vie frustrante et que l’école était peut-être sa soupape pour évacuer ce qui ne pouvait pas l’être ailleurs. Parfois, malgré tous nos efforts, on ne peut pas aider un élève à cheminer pour la simple raison qu’on n’a pas toutes les variables de l’équation.
  1. Tous les élèves ont droit au changement. Même si je n’ai pas tous les morceaux de l’équation, mon rôle de pédagogue est de leur offrir une page blanche chaque jour dans un environnement sain et sécuritaire pour leur démontrer que je crois qu’ils peuvent faire mieux. Cela se fait en valorisant non seulement la personne mais son potentiel. Leur montrer que je crois tellement en eux que je leur demande d’exploiter leur plein potentiel.
  1. Il ne faut pas accorder trop d’importance à la façade. Beaucoup d’élèves qui présentent des défis le font pour une (ou plusieurs) raisons. À nous d’essayer de connecter avec eux pour voir ce qui se cache derrière leur “armure”. Bref, une fois qu’on établit une relation avec nos élèves il faut étoffer celle-ci en s’intéressant à eux. Une phrase que je dis parfois à des élèves: “ je n’ai rien contre toi, tu es une bonne personne et je t’aime bien, c’est plutôt tes choix et le comportement qui en résulte que j’aime moins.” Tous les élèves ont besoin de se sentir aimé, surtout ceux qui sont parfois plus difficiles à aimer.
  1. Tous les élèves ont une voix, à nous de les écouter. l’enseignant Monte Syrie a écrit dans un tweet : Nous avons tendance à beaucoup parler de la voix des élèves, comme si c’était à nous de l’accorder. Peut-être devrions-nous plutôt parler des « réglages de l’enseignant ». Sommes-nous branchés sur la bonne fréquence ? Entendons-nous ? Pouvons-nous entendre ? Entendrons-nous ? Peut-être devrions-nous nous préoccuper davantage d’ajuster nos cadrans que de donner le micro. Plusieurs de mes plus grands moments de clarté en éducation m’ont été offerts pendant des conversations avec des élèves. Pour que cela se produise, il faut arrêter de parler et laisser l’élève remplir le silence, les résultats pourraient vous surprendre.
  2. Tout commence par l’empathie. Comme le mentionne la chercheure/auteure Brené Brown, l’empathie nous demande de devenir l’apprenant au lieu du savant. Et pour apprendre il faut écouter, s’intéresser à l’autre, essayer de voir le monde de sa perspective.

En ce début d’année j’irais presque à dire que je nous souhaite des élèves différents, des élèves qui nous sortiront de notre zone de confort, qui nous forceront à questionner certaines de nos pratiques, de nos approches. Comme le dit le vieux proverbe : Lorsque l’élève est prêt, le professeur apparaît. 

Vous aurez maintenant compris que les rôles sont parfois interchangeables.

Bonne rentrée!

Sources:

  1. Commencez avec une page blanche, littéralement, donnez à vos élèves une feuille de papier vierge. Demandez-leur de réfléchir en les guidant.
    1. Si cette feuille est ton année scolaire, de quoi voudrais-tu qu’elle ait l’air en juin ? Comment veux-tu te sentir en juin ?
    2. Ce qui est arrivé l’an dernier est passé, tes actions de l’an dernier n’ont pas besoin de guider celles de cette année. 
    3. Écris les mots que tu voudrais garder en tête pour que cette année soit ta meilleure année ? (vous pouvez leur donner une liste de suggestions)
    4. Écris 2 choses que tu dois commencer ou continuer à faire pour vivre une belle année.
    5. Écris 2 choses que tu dois arrêter de faire pour vivre une belle année.
    6. Qu’est-ce qui pourrait te faire dévier de ton plan ?
  1. Pour aller plus loin, dans les jours suivants, rencontrez chaque élève individuellement pour discuter de ce qu’ils ont mis sur leur feuille. Cela vous permettra de les rencontrer dans un contexte décontracté, vous pourrez discuter un peu plus en profondeur de leurs objectifs, mais surtout vous créerez des liens avec eux. Et comme tout bon leader, demandez-leur comment vous pouvez les aider à atteindre leurs objectifs. On peut revenir à cette feuille au courant de l’année pour garder des traces des progrès.

Cette stratégie a plusieurs objectifs. Premièrement, l’élève doit réaliser qu’il a le contrôle sur ce qui lui arrive, par ses décisions et ses gestes, il influence son devenir. Bref, développer son sentiment d’autonomie. Deuxièmement, cela aura un impact sur son sentiment de compétence:  j’ai écrit des choses sur ma feuille pour avoir une belle année, je suis capable de faire ces choses-là. Troisièmement, l’élève verra qu’il y a une connexion entre ce que l’on fait en classe et sa vie. Quand on joue sur l’autonomie, la compétence et la connexion, on commence à développer la motivation intrinsèque. (voir la théorie de l’auto détermination de Ryan et Deci)

bienveillance, relations, Uncategorized

Je vais toujours être ton prof

C’est la fin de l’année scolaire, à travers le stress des examens, des bulletins et des graduations, difficile de prendre un temps d’arrêt pour souffler. Tout doit être fini et vite. Cette année scolaire a une date de péremption, elle doit être consommée avant le 23 juin!

Même si dans 1 semaine, l’année scolaire 2022-2023 sera “passé date”, il y a des choses qui dureront dans le temps. À commencer par le lien que vous avez formé avec vos apprenants. À travers toutes les choses qu’on essaie de terminer, il y a aussi celles qu’on veut continuer. Il est important de laisser en beauté ceux qu’on a côtoyé depuis les 10 derniers mois.

C’est le temps de dire à vos élèves que l’année se termine, mais pas votre relation avec eux. En septembre dernier, je vous disais qu’il fallait être des créateurs de souvenir.

Il est maintenant important de rappeler à vos élèves que vous serez toujours là pour eux, que vous serez toujours leur prof, peu importe où vos chemins vous mèneront.

Quand un élève finit une année scolaire, il doit faire un paquet de petits deuils, changer d’enseignants, de salle de classe ou même d’école. Ça chamboule une vie. Encore plus pour les ados quand tout semble constamment changer en toi et autour de toi, de savoir que madame ou monsieur lui ouvre sa porte, ça rassure.

Le fait de toujours être là pour nos élèves va prendre différentes formes, tout dépendant de la relation que nous avons développée avec ces derniers. Pour certains, je suis M.Audet qui fait des jokes plates, pour d’autres je suis rétroaction-man (vous allez comprendre plus bas), pour d’autres je suis celui qui fait souvent de la course à pied le matin. Bref, il y a autant de versions de M. Audet que d’élèves à qui j’ai enseigné.

Qu’est-ce que ça implique au juste “toujours être leur prof” ? J’aimerais bien vous donner une réponse claire et précise, mais je l’ignore. Pour la simple et bonne raison qu’il m’est impossible de savoir ce que mes élèves garderont de la relation que nous avons développée. Même eux ne le savent probablement pas au moment où vous lisez ces lignes.

Voyez-vous, l’enseignement est un milieu qui comporte certains mirages et illusions. À première vue, l’équation semble toute simple : j’enseigne, j’évalue, ils savent; on passe à autre chose. Mais dans les faits, l’apprentissage n’est pas toujours instantané. Comme je l’ai déjà mentionné ailleurs, il faut parfois laisser macérer les leçons et les discussions pour en retirer toute la sagesse. Parfois ce n’est que quelques années plus tard que les élèves assimilent ce que l’on tentait de leur expliquer.

Donc, ce que j’essaie de dire c’est que “je vais toujours être ton prof” c’est un chèque en blanc que je leur offre. Ils peuvent y mettre ce qu’ils veulent, ce dont ils auront besoin, quand ils en auront besoin. 

On ne se fera pas de cachette, la majorité de nos élèves sont contents de passer à autre chose, à un autre niveau. Quand je leur dit que je serai toujours là pour eux, la plupart ne vont pas encaisser le chèque, ils vont continuer leur route et c’est très bien ainsi. 

Cependant, il arrive que les élèves reviennent nous voir, pour parler ou pour avoir une lettre de référence. Justement il y a deux semaines j’ai reçu ce message d’un ancien élève qui a commencé à faire de la suppléance :

“Bonjour M. Audet ! Fun fact : on m’a donné une tâche pas mal spéciale à XYZ. Je vais remplacer une enseignante d’English pour le reste de l’année scolaire. Je sais que t’es genre rétroaction-man, fait que je voulais demander comment donner de la rétroaction pour un texte.”

Quel plaisir de recevoir un message pareil, non seulement il demande mon aide, mais il s’est souvenu de moi, même après toutes ces années. 

Les enseignant(e)s ont cette faculté de toujours avoir de la place dans leur cœur pour de plus en plus d’élèves. À chaque année, des dizaines de nouveaux visages viennent s’ajouter dans nos mémoires. Des dizaines de nouveaux visages qui apparaissent dans notre tête à tout moment : je me demande ce qu’ il/elle est devenu ? 

Un cœur de prof, c’est comme l’univers, c’est en constante expansion … et c’est rempli d’étoiles!

Bonne fin d’année à tous!

bienveillance, relations, rentrée scolaire

Créateur de souvenirs

En juin dernier, j’ai eu l’immense plaisir d’assister à la soirée retrouvailles de l’école secondaire où j’ai enseigné pendant 13 ans. Une telle soirée est toujours remplie d’appréhension: j’avais hâte et j’espérais revoir certains visages, mais d’un autre côté je me demandais si l’enthousiasme allait être partagé. Est-ce que les élèves allaient se déplacer par une si belle soirée de début d’été? Allaient-ils se souvenir de moi ? 

En cette époque de réseaux sociaux, où les souvenirs sont hautement documentés mais tout autant éphémères, allaient-ils avoir les mêmes mémoires que moi ? Bref, si ce n’est pas sur Instagram, Tik Tok ou Snap Chat, est-ce que c’est vraiment arrivé ?

Je n’ai pas eu à attendre bien longtemps pour avoir la réponse à mes questions. Dès mon arrivée, j’ai rencontré une foule d’anciens élèves parmi lesquels certains étaient encore au collège ou à l’université. J’ai aussi retrouvé des infirmières, des journalistes, des ingénieurs, des artistes, des médecins, des avocats, des fonctionnaires, etc.

Tout au long de la soirée, au fil des conversations, j’ai écouté des histoires qui m’ont rempli le cœur d’émotions que je ne saurais décrire. Dans la plupart des cas, la connexion que nous avions il y a 5-6 ans ou 10-12 ans revenait presque instantanément. Nous parlions du chemin parcouru et beaucoup d’élèves me rappelaient des souvenirs que j’avais oubliés depuis longtemps. 

Pour l’une des premières fois de mes 17 ans en enseignement, je voyais le résultat tangible de pourquoi je fais ce travail. Pendant cette soirée, je me suis souvenu de la chose que j’apprécie le plus de ce merveilleux métier : les personnes!

Tôt ou tard dans votre carrière et peut-être même à quelques moments pendant la prochaine année scolaire, vous allez vous remettre en question : Pourquoi est-ce que je suis ici ? Je n’ai pas l’impression de faire une différence dans la vie des jeunes devant moi, je n’ai pas l’impression qu’ils progressent.

Il arrive qu’on ait de petits indices de notre impact: une étincelle dans les yeux d’un élève qui vient de comprendre, une discussion franche, des sourires, bref une série de petits gestes qui nous aident à continuer.

Si seulement notre profession pouvait être comme celle du jardinier qui arrose ses plantes, leur donne de l’engrais et de la lumière et le tour est joué: les fleurs s’épanouissent!

 L’un des problèmes avec notre profession est que les résultats de nos gestes et actions ne sont pas toujours tangibles. L’impact de nos actions ne fera parfois effet que quelques années plus tard, lorsque les élèves seront loin de nous. 

Comme le souligne Adam Grant dans son ouvrage, les enseignants sont des donneurs, c’est-à-dire qu’ils donnent sans réellement attendre quelque chose en retour. Selon l’auteur, ce qui tend à mener les pédagogues à l’épuisement professionnel n’est pas nécessairement le fait que ceux-ci donnent trop, mais c’est qu’ils donnent sans avoir de réelle rétroaction sur l’impact qu’ils ont.

La rétroaction sur nos actions arrive souvent par accident, lors de rencontres par hasard avec d’anciens élèves au centre commercial. C’est à ce moment qu’on peut réaliser l’impact qu’on a eu sur nos élèves. Quand chacun a eu le temps de prendre du recul, on se rend compte que ce qui a fait la différence ce n’est pas ce qu’on a fait ensemble, mais plutôt comment on s’est senti au contact l’un de l’autre.

“People will forget what you said or what you did, but they will never forget how you made them feel.” – Maya Angelou-

Un début d’année scolaire c’est une chance d’essayer de nouvelles approches pédagogiques, de nouvelles applications, stratégies, projets, etc. Cependant, une nouvelle année scolaire c’est surtout une immense opportunité de créer de nouveaux souvenirs, de générer des émotions positives. 

Ce n’est un secret pour personne: lorsqu’on se sent bien, on apprend mieux.

Pas besoin de réinventer la roue. Saluez les élèves dans les corridors, Accueillez-les à la porte de votre salle de classe, utilisez vos temps de surveillance comme une opportunité pour échanger avec les élèves (même ceux à qui vous n’enseignez pas), allez marcher les corridors et/ou la cour d’école pendant votre heure de dîner. Bref, créez des occasions et des prétextes pour connecter avec les élèves.

Lors des rencontres pédagogiques de début d’année, on se demande souvent ce que l’on veut faire cette année. Ma question pour vous est la suivante : 

Comment voulez-vous que les gens se sentent avec vous cette année ? Quelles émotions allez-vous susciter ?

Bref, de quoi allez-vous discuter aux prochaines retrouvailles ?

Uncategorized

Un sherpa dans la salle des profs (partie 2)

Dans le documentaire 14 Peaks: Nothing is Impossible, alors que l’équipe d’alpinistes népalais essaie de grimper les 14 plus hauts sommets de la planète en seulement 7 mois, ceux-ci sont confrontés à une foule d’embûches, dont le temps. Que ce soit des températures extrêmes (-65 c०!), le manque d’oxygène ou les tempêtes, ils devaient toujours s’assurer de passer le moins de temps possible sur les montagnes. Malgré tout, l’équipe de Nirmal “Nims” Purja n’a jamais hésité à arrêter leur course contre la montre pour venir en aide à des alpinistes en détresse. Même au risque de leur propre vie, l’idée de laisser un grimpeur en danger derrière n’était pas une option pour eux.


Dans la première partie de ce texte publié auparavant je vous parlais qu’il fallait inclure. Une fois qu’on fait partie d’un groupe, la suite logique est de s’entraider.

Photo de Riccardo sur Pexels.com

S’entraider

Ce qui aiderait aussi les nouveaux profs plus que tout serait de voir notre propre vulnérabilité. Souvent, les nouveaux enseignants n’osent pas parler de leurs problèmes pédagogiques ou de gestion de classe parce qu’ils croient qu’ils sont les seuls à avoir ces problèmes. Comme me le confiait une nouvelle enseignante :

Lorsqu’on avait des rencontres par niveau l’an dernier, les autres enseignants parlaient de toutes les bonnes choses qui se passaient dans leur classe. Chacun partageait ses bons coups, j’aurais eu tellement de questions à leur demander à propos du programme et de la pédagogie, mais je n’osais pas, parce que je ne voulais pas être la seule qui avait l’air incompétente.”

(S.H.)

Imaginez des discussions entre enseignants où chacun apporte 1 bon coup et 1 question pour le groupe. 

Le psychologue organisationnel et auteur Adam Grant mentionne dans son livre Give and Take, l’idée d’instaurer des cercles de réciprocité dans nos milieux de travail. Le principe, qui a été développé à l’Université du Michigan, est simple : réunir des gens d’un domaine ou d’une industrie similaire. Par la suite, chaque participant fait une demande au reste du groupe. Les autres membres utilisent leurs connaissances, leurs ressources et leurs connexions pour aider à compléter les demandes. 

Imaginez une école où les enseignants et la direction faisaient un tel exercice. Ces cercles ont pour effet d’abaisser certaines barrières à la collaboration, on donne pour le simple plaisir d’aider quelqu’un à solutionner un problème. Les jeunes profs aussi ont des choses à nous apporter, il suffit de prendre le temps de leur demander.

Coacher

En parlant avec ma nouvelle collègue l’an dernier, je me suis rendu compte à quel point nous sommes tous un peu coupables de les laisser à eux-mêmes. Même lorsqu’on veut les encourager, nos mots peuvent devenir des armes à double tranchant. 

Tout le monde me disait que j’allais être bonne, que je n’allais pas avoir de problème parce que je suis organisée. J’avais l’impression qu’il ne fallait pas que je ne déçoive personne, que je n’avais pas le droit à l’erreur sinon leur opinion de moi allait changer.

(S.H.)

Je crois que les nouveaux enseignants ont plus besoin d’une oreille attentive que de conseils. Parfois s’asseoir avec eux et juste écouter, leur poser des questions.

Bref, être un coach, c’est aider l’autre à trouver les solutions qui se trouvent déjà en eux au lieu de leur donner NOS solutions. En d’autres mots, installer le cordage nécessaire pour qu’ils puissent gravir la montagne.

À mes débuts dans le métier, j’ai eu la chance de rencontrer mon “sherpa”. Quelqu’un chez qui je pouvais entrer avec mes idées, mais surtout mes questions. Il m’écoutait, me laissait parler jusqu’à ce que j’aie fait le tour de mon problème. Par la suite, calmement il commençait ses phrases par “ As-tu pensé à…” ce à quoi je répondais souvent “ah oui, et je pourrais aussi faire…” et je quittais aussitôt pour aller exécuter “mon” idée!

Sur la montagne, le sherpa ouvre la voie aux grimpeurs, mais il n’y a pas d’ascenseur pour aller au sommet de l’Everest, chaque alpiniste doit y mettre le travail. C’est un peu ce qu’on devrait faire avec nos jeunes enseignants, leur montrer le chemin à suivre. Je ne parle pas de leur donner nos cartables pour qu’ils se fassent des photocopies, mais de les écouter, les guider, les aider, bref se rendre disponible. Je ne suis pas en train de dire que les nouveaux profs devraient avoir la vie facile, mais on pourrait les aider à ce que ça soit juste un peu moins difficile.

Pour finir, avec la pénurie de main-d’œuvre dans le domaine de l’enseignement, assurons-nous que les jeunes pédagogues puissent non seulement bien finir l’année scolaire, mais surtout avoir une longue carrière dans nos écoles.

Les gens oublient souvent que le but d’escalader l’Everest n’est pas d’atteindre le sommet, mais de revenir en bas.

Uncategorized

Un sherpa dans la salle des profs (partie 1)

Dernièrement, j’ai regardé le documentaire 14 Peaks: Nothing is Impossible, dans lequel une équipe d’alpinistes népalais tente l’impossible: grimper les 14 plus hauts sommets de la planète en 7 mois alors que le record précédent était de… 7 ans!

Ce film nous montre non seulement des athlètes hors norme, mais surtout une équipe soudée et dévouée à une cause commune. 

Une des scènes les plus marquantes est selon moi celle où l’équipe se présente au camp de base de la redoutable montagne K2. Plusieurs personnes ont essayé d’y monter pendant la saison sans succès. Le leader de l’équipe népalaise Nirmal “Nims” Purja prend la parole et convainc les autres grimpeurs que son équipe ouvrira la voie pour tout le monde. Ce qu’ils font: ils installent le cordage nécessaire à l’ascension de la montagne et permettent ainsi à plusieurs de réaliser leur rêve de conquérir cette mythique montagne.


L’hiver achève, les idéaux du début de l’année scolaire commencent à s’évaporer à mesure que les cernes en dessous de nos yeux grandissent. 

À travers tous ces changements, il y a les jeunes enseignants qui débutent dans la profession. On les a accueillis au camp de base, en bas de cette montagne qu’est l’année scolaire. On les a aidés à s’installer, à organiser leurs cours, on leur a dit que notre porte était toujours ouverte. 

Après des mois d’ascension, il est temps qu’on se parle des petits nouveaux. Comment vont-ils ?

Le taux de décrochage chez les nouveaux enseignants est alarmant. Au Québec, entre 15% et 20% d’entre eux décrochent au cours des 5 premières années dans la profession. Même son de cloche dans le reste du Canada, où 30% quittent le métier lors des 5 premières années (Rojo et Minier, 2015).

Dans un tel contexte, il est difficile de développer une passion et de s’épanouir dans ce que l’on fait quand on pense seulement à survivre.

Combien de fois a-t-on entendu une version de la déclaration suivante : “Oui c’est difficile d’enseigner, surtout quand tu commences, mais il faut juste essayer de survivre les 4-5 premières années.” Je sais, parce qu’on me l’a dit à mes débuts et je l’ai aussi répété à des enseignants recrues.

Passer à travers les premières années d’enseignement est souvent vu comme un rite de passage. Ceux qui survivent sont de “vrais enseignants” ils ont “ça dans le sang”. À l’opposé, ceux qui abandonnent n’étaient juste “pas fait pour la job”. Une telle dualité exprime une vision trop simpliste de la profession et des gens qui y évoluent.

C’est ici que nous, les profs avec plus d’expérience, devons exercer notre leadership. Nous devons agir en tant que sherpa pour les recrues dans nos écoles. 

Loin de moi ici d’en ajouter à la tâche déjà colossale des pédagogues, ni de leur faire porter le blâme du décrochage de leurs collègues. Je pourrais bien sûr parler de ce que le Ministère, les facultés d’éducation et les conseils\ centres de services doivent faire pour que les choses changent, mais ce serait comme escalader l’Everest en sandale : de telles doléances n’iraient pas bien loin! 

C’est pourquoi je veux garder le focus sur le concret, sur ce que l’on contrôle pour que la situation s’améliore. Je vous présente ici le premier de trois points, les deux autres suivront dans le prochain billet de blogue.

Inclure

Les nouveaux enseignants ont surtout besoin de se sentir inclus, de faire partie de la “gang” au même titre que leurs collègues plus expérimentés. Si vous faites partie de ce dernier groupe, assurez-vous d’insister pour que vos jeunes collègues se joignent à vous lors des dîners ou autres rencontres informelles. Le travail d’enseignant est trop difficile et trop exigeant pour que l’on s’isole et qu’on se crée des clics.

Comme l’a mentionné récemment Simon Sinek dans un Tweet : l’échec peut se faire seul, mais le succès nécessite toujours de l’aide. 

Si vous êtes un nouvel enseignant, ne mangez pas votre dîner seul dans votre classe. Bien sûr que c’est du temps où vous pouvez faire de la correction et de la planification, mais le travail sera là à votre retour. Les discussions informelles pendant les dîners peuvent souvent sembler inutiles et une perte de votre précieux temps. Mais c’est en fait établir des bases qui vont vous amener à collaborer avec vos collègues plus tard. Bref, il faut le voir comme un investissement de temps où on développe des relations avec son entourage.

Quand vous connaîtrez vos collègues, vous commencerez à voir les possibilités: qui peut vous apporter quoi. À mes débuts, je savais que pour des conseils à propos de l’enseignement de la matière, je pouvais aller en voir une, pour mes problèmes de gestion de classe, s’en était un autre. Bref, je me suis développé un réseau de sherpas. 

Quand on développe des relations avec les collègues, il devient facile de voir quels sont les modèles à suivre. Allez les observer en classe, allez voir différents styles d’enseignements à différents niveaux, bref devenez un étudiant dans votre propre école!

Bien sûr, ça peut être un peu intimidant d’aller cogner aux portes, mais ça démontre surtout votre désir d’apprendre et de vous améliorer. Pour un(e) enseignant(e) d’expérience, il n’y a rien de plus flatteur que quelqu’un qui nous demande conseil, qui veut notre avis.

Défi inclusion

Pour les prochains jours, je vous lance le défi de l’inclusion.

  • Que vous soyez une “verte recrue” ou une “tête grise”, invitez de nouvelles personnes à se joindre à vous pour manger.
  • Assoyez-vous avec un/une collègue et parlez pédagogie.
  • Où en êtes-vous dans votre programme ?
  • Avez-vous un projet excitant qui s’en vient ou pour lequel vous aimeriez avoir des idées ?

Ressource supplémentaire

Uncategorized

Pourquoi est-ce qu’on est ici ?

Cette semaine, j’ai commencé mon cours de français avec cette simple question. Après l’avoir expliquée, j’ai laissé les élèves aller réfléchir et écrire dans leur cahier.

 Le but de la question est de réfléchir à pourquoi on vient à l’école. Outre l’aspect académique évident (on vient pour apprendre), je voulais que mes élèves se demandent pourquoi ils apprennent, qu’est-ce qu’ils viennent apprendre.

Plusieurs de mes élèves de 7e année (11-12 ans) ont répondu les formules connues:

« Nous sommes ici pour obtenir de bonnes notes afin d’aller au collège et à l’université, puis de trouver un emploi pour faire de l’argent”

“Je viens pour apprendre des choses qui me seront utiles plus tard, comme comment payer mes comptes et me comporter en société”.

Ce sont des réflexions tout à fait valables, loin de moi de prétendre que l’école ne va pas les aider dans la vie.

Toutefois, ce qui me frappe dans ces réponses c’est qu’ils se projettent dans le futur.

Comme dit Richard Desjardins : “Y’en a qui disent que le bonheur, c’est comme l’avenir, c’est pour plus tard”. L’école, pour eux, pour plusieurs, c’est pour plus tard. 

Le manque de motivation et d’engagement à l’école chez les jeunes a de multiples causes. Mon hypothèse est que lorsque les jeunes ne voient pas l’utilité d’une tâche ou d’une matière, ils ont tendance à se désengager.  Plus encore, je crois que lorsque certains élèves ne voient pas d’impacts immédiats dans leur vie, ils ont aussi tendance à perdre leur motivation. Ne vivons-nous pas la même chose comme adulte avec nos résolutions du nouvel an? Alors de leur dire qu’ils doivent étudier fort pour un test de math parce que ça va leur servir à l’université, aussi vrai que ce soit, ça ne les allume pas. 

Et si on prenait le temps de dire à nos élèves que l’école c’est aussi, surtout, pour tout de suite.

Pour paraphraser Sir Ken Robinson, dire aux jeunes que l’école les prépare à la vie future, c’est ignorer celle qu’ils vivent présentement. Une vraie vie, remplie de hauts et de bas et que celle-ci compte autant que celle qu’ils auront dans le futur.

Imaginez le changement qui pourrait s’opérer dans nos salles de classe si on leur rappelait que l’école c’est pour tout de suite. Si on leur rappelait qu’on ne vient pas à l’école juste pour avoir de bonnes notes ou pour devenir premier de classe. On vient à l’école pour s’améliorer, pour être la meilleure version de soi tout de suite. Juste un peu meilleur qu’on l’était hier. C’est tout. N’est-ce pas la motivation des jeunes pour les jeux vidéo ?

Alors, comment faire ?

Premièrement, on pourrait les aider à développer des habitudes qui les feraient  grandir à court, moyen et long terme. Comme le mentionne James Clear dans son excellent livre Atomic Habits, les grands changements ou les grandes transformations ne sont rien d’autre qu’une accumulation de petites habitudes. 

Deuxièmement, il faudrait  essayer de rendre notre enseignement plus concret. Il y a quelques années, j’avais placé une immense affiche dans ma classe avec le mot “Pourquoi?”. Je voulais que mes élèves me défient sur les raisons d’apprendre ce qu’on apprenait. Je leur ai fait  la promesse que si je ne savais pas pourquoi j’enseignais une chose (je n’avais pas le droit de répondre “parce que c’est dans le programme” ), j’arrêtais tout de suite la leçon et on n’en reparlait plus.

Cette approche avait surtout comme effet de rendre mes tâches authentiques pour mes élèves. Actualiser les projets et les connecter au vécu des étudiants, à leur réalité.

Troisièmement, pour la majorité des élèves, l’école est d’abord un endroit de socialisation. En s’appuyant sur ce fait, on pourrait  amener nos élèves à réfléchir sur leurs interactions sociales. Ça aussi c’est important. Parce que c’est au contact des autres qu’on apprend à se découvrir et  qu’on peut se développer en tant que personne.

Cependant, pour que le tout soit clair et cohérent, chaque pédagogue doit d’abord réfléchir à SA réponse à la question.

Alors.

Pourquoi est-ce que vous êtes ici ?

Ressources pour débuter la discussion à l’école avec les élèves et/ou les enseignants

Sources:

Uncategorized

Les 12 travaux du pédagogue au temps de la pandémie

Des points de repère pour diminuer le brouillard de la rentrée 2020

J’ai hésité longtemps avant d’écrire ce billet. Plus la rentrée approche, plus j’ai de la difficulté à me motiver. Habituellement à ce temps-ci de l’année, j’ai la tête qui bouillonne d’idées pour l’année scolaire. Présentement, devant tant d’incertitude, je ne sais pas vraiment par où débuter pour me préparer.

Ainsi, pour essayer de me recentrer, je vous partage ici une liste des 12 travaux du pédagogue à la rentrée. Avec cet inventaire, j’essaie de sortir des points de repère pour essayer de voir un peu plus clair dans ce brouillard qu’est la rentrée en temps de pandémie.

Allons-y!

1- Arrêtons de se définir par ce que nous faisons (QUOI), définissons-nous à partir de POURQUOI nous le faisons.

Les enseignements de Simon Sinek dans son ouvrage « “Start With Why» (version fr. ici) sont très pertinents en ce moment. Certains enseignants se définissent par ce qu’ils font (Quoi). Ils sont des profs de maternelle, de chimie ou de 4e année. Ainsi, lorsque nous perdons notre COMMENT : notre salle de classe, une partie de nos ressources et que nos élèves sont à distance, nous vivons beaucoup d’angoisse. Comment est-ce que je suis censé enseigner les sciences sans mon labo ?

De là l’importance de nous définir à partir de POURQUOI nous faisons ce que nous faisons, par exemple, si nous commençons à nous dire que nous sommes là pour aider nos élèves à grandir et à s’améliorer constamment, que nous enseignons pour que nos élèves développent une pensée critique par rapport au monde qui les entoure ou pour aider les élèves à développer une curiosité par rapport aux sciences.

Imaginer les possibilités qu’offrent ces exemples. Que nous nous trouvions en classe avec tous nos élèves ou en ligne (ou un mélange des deux), toutes nos actions seront orientées pour réaliser notre POURQUOI.  

Trouvez votre POURQUOI et laissez-vous guider par celui-ci pour décider du COMMENT et du QUOI. Ainsi, si d’autres situations inattendues se présentent dans le futur, vous aurez des bases solides sur lesquelles vous appuyer.

2- L’humain d’abord, ensuite le programme 

Désolé d’en décevoir quelques-uns, mais les écoles n’ont pas été construites pour nous permettre de passer notre programme. Nous enseignons à des élèves, des humains, tel que le mentionne les animateurs d’Escouade Edu dans leurs formations, l’école est là pour développer des humains.

La situation actuelle est le moment idéal pour se recentrer sur l’élève. Comment faire en sorte que celui-ci puisse continuer à grandir? Personnellement, je crois que la pédagogie devrait rester dans l’arrière-plan en septembre. Il y a des « choses»  plus importantes dans nos classes: nos élèves. 

3- Plus que des relations, nous devons connecter avec nos élèves

Pour développer des humains, il faut forcément s’intéresser à eux, connecter. Cette rentrée ne fera pas exception à la règle. Après avoir vécu une fin abrupte à leur année scolaire, les enfants de tout âge ont souffert, comme un peu tout le monde, de l’isolement social.

Roch Chouinard propose de mettre l’accent sur le besoin d’affiliation des jeunes. Plus spécifiquement, il propose que les élèves restent avec le même groupe classe et qu’on réduise au maximum le nombre d’enseignants (3 à 5) pour chaque groupe. Il propose aussi que les élèves aient un enseignant attitré qui les suivra de près pour les aider, entre autres, à faire leurs suivis et à se fixer des objectifs.

Bref, le but est de réduire l’anxiété de l’élève qui revient à l’école après un long moment. S’il se sent bien entouré par des camarades de classe et quelques adultes, le retour devrait se faire un peu plus en douceur. Pour ce faire, des périodes de discussion pour prendre le pouls de la classe en commençant la journée donneraient la chance à tous de faire preuve d’empathie.

4- L’empathie

Plusieurs élèves et collègues auront vécu des situations difficiles dans les derniers mois, il faudra prendre chacun là où il est. 

Brené Brown établit une distinction subtile entre la sympathie et l’empathie. Dans la première, on projette ses émotions sur l’autre (“ « Mon Dieu, tu dois avoir de la peine» ) ce qui a tendance à orienter les personnes vers l’isolement. De l’autre côté, lorsqu’on fait preuve d’empathie, on ressent les émotions avec l’autre ( « Ce que tu me dis me rend vraiment triste aussi.» ). C’est seulement en faisant preuve d’empathie qu’on peut vraiment connecter avec l’autre, parce qu’on l’écoute, on se met dans ses souliers et on ne cherche pas forcément à trouver une solution ou une réponse. On est à l’écoute.

Bien que la Covid-19 soit  une expérience commune, plusieurs ont ressenti de la solitude pendant le confinement (alone together). Ainsi, si tous font preuve d’empathie à la rentrée, ça nous soudera, nous aidera à passer à travers beaucoup d’épreuves ensemble.

5-Réduire le fossé entre les pédagogues

Les événements du printemps dernier sont venus mettre en lumière les manquements dans la formation des maîtres et le développement professionnel. Certains enseignants se sont retrouvés dépassés quand est venu le temps de transposer leur salle de classe en ligne. Pour d’autres,  le choc était plus pédagogique : quoi faire si les élèves n’ont pas leur manuel ? 

Ainsi, pour réduire le fossé entre le niveau d’aisance technologique et/ou pédagogique, il faut nous parler davantage. Arrêtons d’avoir peur d’avouer notre ignorance. Allons voir nos collègues qui ont l’air plus à l’affût dans les domaines qui nous posent des défis. 

À l’inverse, je crois qu’il faut aussi s’ouvrir davantage aux autres. Il y a un paquet d’excellents pédagogues qui n’écrivent pas de blogue, qui ne sont pas sur les réseaux sociaux, qui font leur « petite affaire» dans leur coin. Ils n’agissent pas de la sorte parce qu’ils sont égoïstes ou antisociaux, ils pensent qu’ils sont des profs ordinaires. Allons chercher ces diamants pour qu’ils joignent l’épaule à la roue. Créons des opportunités de partage de problèmes et de solutions entre collègues. Comme l’a proposé Natacha Vautour sur Twitter,  pourquoi ne pas prendre un petit 10 minutes à la fin de chaque journée pour se parler entre collègues pour échanger à propos de bons coups et des défis rencontrés?

Si les profs s’entraident pour devenir des apprenants, imaginez ce que ça fera pour le climat de l’école et quel bel exemple à donner aux élèves!

6- Plus le défi est de taille, plus le besoin de travailler en équipe augmente

J’ai volé cette phrase dans un webinaire en avril dernier co-animé par Marius Bourgeoys, Joël Mclean et Louis P. Houle. Ainsi, on vit et on vivra sans doute des moments difficiles à la rentrée. Il faut plus que jamais se parler et connecter. Pour cela, ça prendra un leadership éclairé. Pour travailler plus efficacement ensemble, on devra avoir une vision commune. 

En cette rentrée scolaire 2020, qu’est-ce qui est le plus important pour nous en tant qu’école ? POURQUOI est-ce que c’est important ? COMMENT allons-nous y arriver ? C’est QUOI notre plan? Qu’est-ce que nous ferons concrètement ? Quelles seront les actions et/ou les responsabilités de chacun ?

7- Quelle partie de l’expérience scolaire voulez-vous rapporter au nouveau « normal» ?

On ne va pas se faire de cachette, l’école telle qu’on l’a connue avant mars 2020 n’existe plus. Que ce soit à cause de la distanciation sociale, du port du masque ou des cours en ligne forcés, il y a des choses qui ont changé et qui ne reviendront pas. Qu’est-ce qui est vraiment important pour vous à l’école ? Comment est-ce que vous pourrez adapter cela dans le nouveau contexte de la rentrée 2020 ? 

8- Pour aller plus vite, il faut parfois ralentir

Comme je vous disais plus tôt, les élèves arriveront tous avec un bagage émotif différent à cause de la Covid. Il en va de même pour l’aspect pédagogique. La scolarisation du printemps 2020 aura été bonne (voir bénéfique) pour certains et désastreuse pour d’autres. Pour faire preuve d’empathie, il faudra ralentir, ne pas être tenté d’essayer de reprendre toute la matière manquée dans le premier mois. Les élèves ont pris du retard ? Par rapport à qui ? Tout le monde est dans le même bateau. Allons-y au rythme des élèves. Pour répondre aux différents besoins pédagogiques des élèves, pourquoi ne pas offrir des choix pour ce qui est du travail à faire en classe ? Ainsi, moins d’élèves risquent d’être dépassés par la matière. 

Comme je le mentionnais dans un billet de blogue pré-Covid, on doit mettre l’accent sur la croissance plutôt que sur la performance. La Covid vient renforcer cette impression. Comme le mentionne Chouinard dans son article, les élèves auront besoin de connaître rapidement du succès pour remplir leur besoin d’estime de soi. Cela sera rendu possible en leur permettant d’être évalués de manière flexible et en leur donnant de  la « rétroaction constructive sur les points à améliorer.» Bref, les élèves auront besoin de savoir rapidement qu’ils progressent…même si c’est à petits pas.

9- Réduire le fossé entre l’école et la maison

En mars dernier, lorsque les écoles ont fermé, plusieurs lacunes de notre système d’éducation ont été exposées au grand jour. Outre les carences en technologie, je crois que le fossé entre l’école et la maison est celui qui a mis le plus de sable dans l’engrenage éducatif.

Plusieurs parents ont appris l’identité des enseignants de leurs enfants…en avril. De l’autre côté, j’avoue, j’ai communiqué avec des parents pour la première fois en mai pour indiquer qu’un travail n’avait pas été remis.

Je ne soulève pas ce point pour trouver des coupables.

En cette rentrée “covidienne”, on se doit de réduire le fossé entre l’école et la maison.

Communiquez (téléphone ou courriel) avec les parents dans les premières semaines d’école pour les rassurer par rapport au retour en classe de leur enfant. Prévoyez une « soirée portes ouvertes” sur Meet ou Zoom pour présenter votre approche. Bref, jetez les bases pour faciliter les communications futures.

Marc-André Carignan mentionne dans son excellent ouvrage que l’école devrait être le coeur d’une communauté. S’ouvrir sur celle-ci. En période de distanciation sociale, cela est non seulement faisable, mais nécessaire. L’élève doit sentir que les adultes dans sa vie sont tous là pour le même objectif : l’aider à grandir, à s’améliorer et à naviguer à travers les changements.

10- S’habituer au changement

L’historien Yuval Noah Harari a écrit dans son ouvrage en 2018 que l’école doit préparer les apprenants au changement. Pour réussir dans le futur, il ne suffit plus d’innover et d’inventer de nouvelles choses, mais surtout de savoir se réinventer constamment. Je sais que l’expression a été utilisée à toutes les sauces depuis le début de la pandémie, mais elle demeure pertinente. 

Dans le même ordre d’idées, dans son épisode du 12 août dernier, John Maxwell mentionne dans son balado que dans la situation actuelle, nous devons embrasser le changement plutôt que d’essayer de l’éviter. Ainsi, nous allons tous commencer l’année scolaire avec un plan en tête pour affronter la pandémie dans nos écoles. Cependant, nous devrons faire preuve d’agilité pour nous ajuster en cours de route. Comme le mentionne Maxwell, pensez en termes d’options plutôt que de direction. 

11- Favoriser une pédagogie active

Quoi de mieux pour garder nos élèves motivés que de leur donner des options et de les mettre en action ? Que ce soit en personnel ou en ligne, nous devons engager l’élève dans son apprentissage. Évitons les exercices répétitifs et optons pour des tâches complexes. Des tâches où les élèves auront à se questionner et à chercher des réponses à leurs interrogations, comme c’est le cas dans l’approche par enquête. Mais attention, d’expérience, cela déstabilisera vos élèves. Ils vous demanderont de travailler dans le manuel ou d’avoir des cours « normaux»  où ils peuvent juste écouter et prendre des notes. 

Ne vous laissez pas leurrer, parfois les élèves ignorent ce qui est bon pour eux. Une récente étude issue des départements de chimie et de physique de l’Université Harvard a démontré que les élèves avaient l’impression d’apprendre beaucoup plus dans un cours magistral que dans un cours où ils étaient mis en action. Pourtant, lorsque les chercheurs ont mesuré les apprentissages, il s’avérait que ceux qui avaient pris une part active dans leur apprentissage avaient progressé davantage.

En mettant vos classes en action, vous et vos élèves serez prêts à toutes éventualités. Que ce soit en ligne ou en classe, l’apprentissage se continuera sans trop de problèmes.

Cependant, pour en arriver là, il faut commencer l’année en amenant vos élèves à devenir des apprenants de plus en plus autonomes.

12- Garder la flamme allumée

Le défi le plus colossal risque de garder notre flamme allumée. Ne pas se laisser « éteindre»  par les défis, les épreuves et les périodes de recul que nous rencontrerons inévitablement. Présentement, je dois limiter les photocopies que je donne à mes élèves, ceux-ci n’ont pas accès aux appareils électroniques et je n’ai pas assez de manuel pour tout le monde.

On ne construit pas une navette spatiale avec du vieux bois et des clous rouillés. Pour passer à travers, il faudra peut-être ajuster nos attentes à la baisse.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, il faudra se serrer les coudes entre collègues pour se supporter, faire preuve d’empathie et prendre le temps de connecter avec les élèves. En sommes, se rappeler POURQUOI on est là. 

Uncategorized

La pédagogie sans photocopieuse

Les dernières semaines ont été difficiles pour tout le monde. On a littéralement enlevé le plancher de nos salles de classe de sous nos pieds, on est en chute libre. Puis, tranquillement,  on commence à prendre nos repères, on est en train d’atterrir dans une toute nouvelle “boîte”.

Dans cette nouvelle boîte, plusieurs sont pris au dépourvu. Ceux pour qui l’utilisation de la technologie à l’école se limitait à la photocopieuse ont atterri bien malgré eux dans le XXI siècle. Pour d’autres, le choc est pédagogique: comment reproduire ce que je faisais en classe à distance ? La réponse est simple, c’est impossible. Finalement, les plus affectés sont ceux qui subissent le double choc de devoir se mettre à niveau du côté technologique et pédagogique.

Depuis que nous sommes confiné dans cette nouvelle boîte, on se fait bombarder de conseils et d’astuces techno, de sites de jeux pédagogiques, d’applications, etc. J’ai moi-même profité de ces partages qui sont utiles et nécessaires. Cependant, alors qu’on parle de rouvrir graduellement les écoles au Québec, je crois que le temps est venu de recentrer nos priorités sur la pédagogie.

Je ne vous apprends rien en vous disant que nous sommes dans une période unique dans notre histoire. Un moment charnière, il y aura un avant et un après Covid-19 dans notre société. Mais qu’en est-il du milieu de l’éducation ? Pour paraphraser Marius Bourgeoys, est-ce qu’on est train de photocopier l’école d’hier ou de créer l’école d’aujourd’hui ?

Sur le plan humain, la Covid-19 est une tragédie. Je ne cherche pas ici à en diminuer l’importance ou l’impact, je veux seulement vous amener à la voir sous un autre angle. À voir le positif qu’on peut en retirer dans le monde de l’éducation.

Nous pourrions penser que ce n’est pas le temps de faire des gros changements présentement, qu’il faut garder les choses simples. Mais c’est quand le bon temps pour faire du changement ?

Il y a deux mois, nous manquions de temps: nous avions des cours à préparer, des piles de corrections, les activités des enfants, etc.

La crise actuelle est en train de nous montrer les failles et les limites de nos systèmes d’éducation. À commencer par le fossé manifeste entre la maison et l’école. Comme toutes les autres sphères de la société, on doit changer. Et ce sera pénible. À ce sujet, John Maxwell mentionne : “Tout ce qui en vaut la peine dans la vie est en pente ascendante et monter nécessite d’être intentionnel.” 

La vérité est qu’on ne peut pas se permettre de ne pas innover.

La Covid-19 c’est une opportunité, un immense moment d’apprentissage (teachable moment). Comme a dit l’ancien bras droit d’Obama, Rahm Emanuel :Vous ne laissez jamais une crise grave se perdre. Et ce que je veux dire par là, c’est une opportunité de faire des choses que vous pensiez ne pas pouvoir faire avant.” 

La Covid-19 est une opportunité unique de changer des choses en éducation. Arrêtons de  stresser avec nos programmes: ils ne seront pas complètement couverts cette année. J’irais même jusqu’à dire que les programmes sont un peu secondaires en ce moment. Pour ce qui est des examens du Ministère, ils sont en confinement jusqu’à l’an prochain. La voie est libre.

Nous avons les coudés franches pour essayer de rendre l’apprentissage intéressant et flexible. Parce que l’apprentissage des élèves doit se poursuivre…tout comme celui des enseignant(e)s/directions. “Ça va prendre un chapeau d’apprenant” comme nous disait Marius plus tôt ce mois-ci.

Il y a mille et une manières d’amasser des preuves d’apprentissage et celles-ci vont prendre différentes formes selon nos élèves. Parce qu’en plus d’être authentiques et flexibles, nous avons l’occasion de les rendre plus personnalisées pour nos apprenants. Nous pouvons prendre le temps de discuter avec nos élèves de manière individuelle ou en petit groupe.

Présentement, beaucoup d’enseignants sont en train d’apprendre “sur le tas”. Certains partent de loin en devant apprendre comment fonctionne Google Drive, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas viser plus haut pour ceux-ci. Qui sait ce que ces pédagogues en déficit technologique pourront accomplir une fois les bases assimilées.

“Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux qui vont plus vites.” – Henry Ford 

Parfois ce que les gens veulent n’est pas nécessairement ce dont ils ont besoin.

J’en appelle aux influenceurs pédagogiques: aux directions, aux conseillers pédagogiques, aux enseignants et autres leaders du milieu. Nous devons nous transformer en représentant Tupperware. 

Je m’explique.

Qui n’a jamais vu une de ces soirées où une personne du voisinage invite ses ami(e)s à la maison pour leur montrer ses beaux produits? Tous ceux et celles qui ont accepté l’invitation le font par courtoisie car ils n’ont besoin de rien. Pourtant, quand la soirée se termine, tout le monde a rempli un bon de commande, on s’est découvert des besoins

Et si c’était la même chose avec nos collègues. Si on leur présentait et on discutait des manières différentes de faire les choses. Et si on leur partageait comment rendre l’apprentissage plus authentique en faisant vivre des expériences d’apprentissage qui sont significatives pour leurs élèves. Si on échangeait à propos de comment rendre leur pédagogie plus flexible : les élèves n’ont pas tous besoin de faire le même travail pour démontrer leur apprentissage. Finalement, si on leur montrait que l’évaluation n’est pas un synonyme de notation, que l’apprentissage consiste plutôt à:  faire, réfléchir, faire mieux.

Parce qu’il est là le coeur du changement, au milieu de la tragédie humaine que nous vivons, si on leur montrait comment mettre le focus sur l’apprentissage, la croissance, mais surtout sur… l’humain.

Qui sait avec quoi ils repartiront à la fin de la soirée?

Uncategorized

La performance vs. apprentissage

Assis dans les estrades pour un match de hockey “Novice C” de mon plus vieux, je souris. Bien sûr, je suis un père fier de voir sa progéniture être active et jouer un sport auquel j’ai excellé pendant ma jeunesse. 

Mais il y a plus que ça. 

Cette année, Hockey Canada a décidé que les jeunes d’âge novice (7-8 ans) allaient jouer tous leurs matchs sur des demi-glaces. Mieux encore, pendant les rencontres, on ne garde aucune statistique, impossible de savoir qui a gagné le match ou qui est le meneur des points dans son équipe ou dans la ligue. On s’amuse et on s’améliore.

Alors comment sait-on que les jeunes sont en train de s’améliorer si on n’a pas de chiffres ou de statistiques ? 

J’observe l’équipe de mon fils et pendant longtemps il ne semble pas y avoir de changements dans leur niveau d’habiletés, jusqu’au jour où il y en a. Un est maintenant capable de faire une passe, un autre est capable de s’arrêter sans tomber et il y a aussi le gardien qui trébuche au bon endroit quand la rondelle se dirige vers lui. Lentement mais sûrement, ils s’améliorent… sans performer.

Si seulement le Ministère de l’Éducation de l’Ontario (et de plusieurs autres provinces) adoptait la même approche. Sortir la compétition et la performance des écoles, plus encore, du discours scolaire.

Pourquoi ?

Dans notre société passée et actuelle, on voit la performance comme un signe positif, comme un signe de supériorité physique ou intellectuelle. Et si nous avions tort…

Plusieurs études ont été menées sur la manière d’apprendre. Cependant, il faut faire une distinction entre la performance et l’apprentissage.

La performance à l’école a été longtemps (et est encore dans beaucoup trop d’établissements) valorisée. Si on arrive à la bonne réponse, on sait! Si on a eu A+, 97% ou 4+ on a appris… et si ce n’était pas le cas ?

Comment peut-on vraiment prouver que la performance actuelle mesure un apprentissage réel ? Je vous donne la réponse : c’est flou…

Bjork et Bjork (2011) établissent que la performance est ce qui est mesurable et observable pendant l’enseignement et la pratique. Au contraire, l’apprentissage est un ensemble de changements plus ou moins permanents au niveau des connaissances ou de la compréhension d’un objectif d’apprentissage.

Toujours selon Bjork et Bjork, l’apprentissage doit être inféré et la performance actuelle d’un élève dans un sujet peut être très trompeuse par rapport à son apprentissage dans ce même sujet.

Prenons un cas “fictif” où un étudiant étudie toute la nuit la veille d’un gros examen. Une fois l’évaluation terminée, il reçoit ses résultats et a aisément réussi celui-ci. Quelques semaines plus tard, qu’a-t-il retenu à propos de la matière qu’il devait étudier ? Très peu. Il a bien performé à l’examen, mais dans les faits, il n’a pas appris grand-chose de durable et de réutilisable/transférable.

Je ne suis pas en train de vous dire que ceux qui obtiennent de bons résultats n’apprennent rien, pas du tout! Je veux seulement vous dire qu’il y a plus de variables à l’équation. 

L’apprentissage vous l’aurez deviné est beaucoup plus complexe. L’apprentissage le plus désirable est celui qui sera durable et flexible, c’est-à-dire un apprentissage qu’on pourra transférer dans divers situations et/ou domaines. Donc le A+, le 97% ou le 4+ ne correspondent pas tout le temps à un apprentissage durable et flexible.

Pour en arriver là, ça prend du temps, beaucoup de temps.

L’apprentissage ça se fait dans la mijoteuse, pas dans la friteuse! 

Parlant de choses qui se développent avec le temps, les compétences globales telles que la résolution de problèmes, l’innovation/créativité, la collaboration, la communication et la citoyenneté sont des habiletés qu’on développe tranquillement. La performance comme on la connaît dans la majorité des salles de classe d’aujourd’hui n’a pas sa place dans le développement de ces compétences.

McMillan (2018) mentionne que les étudiants qui sont dans des classes ayant de bons réseaux collaboratifs ont moins peur de se tromper et de faire des erreurs, donc qu’ils sont plus portés à prendre des risques et relever des défis.

Dans le même sens, Kohn (1987) cite la méta analyse de Johnson qui a relevé que 65 études ont conclu que les enfants apprennent mieux dans un milieux coopératif plutôt que compétitif. En outre, plus la tâche d’apprentissage est complexe, moins les enfants dans un environnement compétitif réussissent bien.

En tant que pédagogues, nous sommes le point de départ des changements de mentalité. Arrêtons de parler en terme de notes mais plutôt en terme d’amélioration. Au lieu de dire : “pour avoir une bonne note, tu dois…” Pourquoi ne pas changer de discours et dire : “pour t’améliorer,  tu dois…”, “pour pousser plus loin ton apprentissage, tu devrais…” Bref, comme McMillan (2018) le mentionne, nous devons faire en sorte que l’apprentissage devienne plus important que le succès à court terme, c’est le premier pas pour changer les mentalités.

À quoi est-ce que tout cela ressemble dans la pratique ? Il faut d’abord leur laisser la chance de se reprendre suite à une évaluation. Leur donner de la rétroaction descriptive qu’ils utiliseront pour améliorer leurs travaux, pour transférer des connaissances ou des concepts dans un autre contexte. Bref, il faut donner le temps à nos apprenants…d’apprendre.

Donc en cette période des examens, des bulletins et des rencontres de parents; s’il vous plaît, rappelez à vos élèves que leurs résultats actuels ne sont pas des finalités. Qu’ils ne définissent pas qui ils sont ou ce qu’ils deviendront. 

Rappelez-leur qu’ils sont dans la mijoteuse.

Sources:

Bjork, Elizabeth et Bjork, Robert, Making Things Hard on Yourself, But in a Good Way: Creating Desirable Difficulties to Enhance Learning, 2011

Epstein, David, Range: Why Generalists Triumph in a Specialized World, 2019

Kohn, Alfie, The Case Against Competition, 1987


McMillan, James, Using Students’ Assessment Mistakes and Learning Deficits to Enhance Motivation and Learning, 2018