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Les 12 travaux du pédagogue au temps de la pandémie

Des points de repère pour diminuer le brouillard de la rentrée 2020

J’ai hésité longtemps avant d’écrire ce billet. Plus la rentrée approche, plus j’ai de la difficulté à me motiver. Habituellement à ce temps-ci de l’année, j’ai la tête qui bouillonne d’idées pour l’année scolaire. Présentement, devant tant d’incertitude, je ne sais pas vraiment par où débuter pour me préparer.

Ainsi, pour essayer de me recentrer, je vous partage ici une liste des 12 travaux du pédagogue à la rentrée. Avec cet inventaire, j’essaie de sortir des points de repère pour essayer de voir un peu plus clair dans ce brouillard qu’est la rentrée en temps de pandémie.

Allons-y!

1- Arrêtons de se définir par ce que nous faisons (QUOI), définissons-nous à partir de POURQUOI nous le faisons.

Les enseignements de Simon Sinek dans son ouvrage « “Start With Why» (version fr. ici) sont très pertinents en ce moment. Certains enseignants se définissent par ce qu’ils font (Quoi). Ils sont des profs de maternelle, de chimie ou de 4e année. Ainsi, lorsque nous perdons notre COMMENT : notre salle de classe, une partie de nos ressources et que nos élèves sont à distance, nous vivons beaucoup d’angoisse. Comment est-ce que je suis censé enseigner les sciences sans mon labo ?

De là l’importance de nous définir à partir de POURQUOI nous faisons ce que nous faisons, par exemple, si nous commençons à nous dire que nous sommes là pour aider nos élèves à grandir et à s’améliorer constamment, que nous enseignons pour que nos élèves développent une pensée critique par rapport au monde qui les entoure ou pour aider les élèves à développer une curiosité par rapport aux sciences.

Imaginer les possibilités qu’offrent ces exemples. Que nous nous trouvions en classe avec tous nos élèves ou en ligne (ou un mélange des deux), toutes nos actions seront orientées pour réaliser notre POURQUOI.  

Trouvez votre POURQUOI et laissez-vous guider par celui-ci pour décider du COMMENT et du QUOI. Ainsi, si d’autres situations inattendues se présentent dans le futur, vous aurez des bases solides sur lesquelles vous appuyer.

2- L’humain d’abord, ensuite le programme 

Désolé d’en décevoir quelques-uns, mais les écoles n’ont pas été construites pour nous permettre de passer notre programme. Nous enseignons à des élèves, des humains, tel que le mentionne les animateurs d’Escouade Edu dans leurs formations, l’école est là pour développer des humains.

La situation actuelle est le moment idéal pour se recentrer sur l’élève. Comment faire en sorte que celui-ci puisse continuer à grandir? Personnellement, je crois que la pédagogie devrait rester dans l’arrière-plan en septembre. Il y a des « choses»  plus importantes dans nos classes: nos élèves. 

3- Plus que des relations, nous devons connecter avec nos élèves

Pour développer des humains, il faut forcément s’intéresser à eux, connecter. Cette rentrée ne fera pas exception à la règle. Après avoir vécu une fin abrupte à leur année scolaire, les enfants de tout âge ont souffert, comme un peu tout le monde, de l’isolement social.

Roch Chouinard propose de mettre l’accent sur le besoin d’affiliation des jeunes. Plus spécifiquement, il propose que les élèves restent avec le même groupe classe et qu’on réduise au maximum le nombre d’enseignants (3 à 5) pour chaque groupe. Il propose aussi que les élèves aient un enseignant attitré qui les suivra de près pour les aider, entre autres, à faire leurs suivis et à se fixer des objectifs.

Bref, le but est de réduire l’anxiété de l’élève qui revient à l’école après un long moment. S’il se sent bien entouré par des camarades de classe et quelques adultes, le retour devrait se faire un peu plus en douceur. Pour ce faire, des périodes de discussion pour prendre le pouls de la classe en commençant la journée donneraient la chance à tous de faire preuve d’empathie.

4- L’empathie

Plusieurs élèves et collègues auront vécu des situations difficiles dans les derniers mois, il faudra prendre chacun là où il est. 

Brené Brown établit une distinction subtile entre la sympathie et l’empathie. Dans la première, on projette ses émotions sur l’autre (“ « Mon Dieu, tu dois avoir de la peine» ) ce qui a tendance à orienter les personnes vers l’isolement. De l’autre côté, lorsqu’on fait preuve d’empathie, on ressent les émotions avec l’autre ( « Ce que tu me dis me rend vraiment triste aussi.» ). C’est seulement en faisant preuve d’empathie qu’on peut vraiment connecter avec l’autre, parce qu’on l’écoute, on se met dans ses souliers et on ne cherche pas forcément à trouver une solution ou une réponse. On est à l’écoute.

Bien que la Covid-19 soit  une expérience commune, plusieurs ont ressenti de la solitude pendant le confinement (alone together). Ainsi, si tous font preuve d’empathie à la rentrée, ça nous soudera, nous aidera à passer à travers beaucoup d’épreuves ensemble.

5-Réduire le fossé entre les pédagogues

Les événements du printemps dernier sont venus mettre en lumière les manquements dans la formation des maîtres et le développement professionnel. Certains enseignants se sont retrouvés dépassés quand est venu le temps de transposer leur salle de classe en ligne. Pour d’autres,  le choc était plus pédagogique : quoi faire si les élèves n’ont pas leur manuel ? 

Ainsi, pour réduire le fossé entre le niveau d’aisance technologique et/ou pédagogique, il faut nous parler davantage. Arrêtons d’avoir peur d’avouer notre ignorance. Allons voir nos collègues qui ont l’air plus à l’affût dans les domaines qui nous posent des défis. 

À l’inverse, je crois qu’il faut aussi s’ouvrir davantage aux autres. Il y a un paquet d’excellents pédagogues qui n’écrivent pas de blogue, qui ne sont pas sur les réseaux sociaux, qui font leur « petite affaire» dans leur coin. Ils n’agissent pas de la sorte parce qu’ils sont égoïstes ou antisociaux, ils pensent qu’ils sont des profs ordinaires. Allons chercher ces diamants pour qu’ils joignent l’épaule à la roue. Créons des opportunités de partage de problèmes et de solutions entre collègues. Comme l’a proposé Natacha Vautour sur Twitter,  pourquoi ne pas prendre un petit 10 minutes à la fin de chaque journée pour se parler entre collègues pour échanger à propos de bons coups et des défis rencontrés?

Si les profs s’entraident pour devenir des apprenants, imaginez ce que ça fera pour le climat de l’école et quel bel exemple à donner aux élèves!

6- Plus le défi est de taille, plus le besoin de travailler en équipe augmente

J’ai volé cette phrase dans un webinaire en avril dernier co-animé par Marius Bourgeoys, Joël Mclean et Louis P. Houle. Ainsi, on vit et on vivra sans doute des moments difficiles à la rentrée. Il faut plus que jamais se parler et connecter. Pour cela, ça prendra un leadership éclairé. Pour travailler plus efficacement ensemble, on devra avoir une vision commune. 

En cette rentrée scolaire 2020, qu’est-ce qui est le plus important pour nous en tant qu’école ? POURQUOI est-ce que c’est important ? COMMENT allons-nous y arriver ? C’est QUOI notre plan? Qu’est-ce que nous ferons concrètement ? Quelles seront les actions et/ou les responsabilités de chacun ?

7- Quelle partie de l’expérience scolaire voulez-vous rapporter au nouveau « normal» ?

On ne va pas se faire de cachette, l’école telle qu’on l’a connue avant mars 2020 n’existe plus. Que ce soit à cause de la distanciation sociale, du port du masque ou des cours en ligne forcés, il y a des choses qui ont changé et qui ne reviendront pas. Qu’est-ce qui est vraiment important pour vous à l’école ? Comment est-ce que vous pourrez adapter cela dans le nouveau contexte de la rentrée 2020 ? 

8- Pour aller plus vite, il faut parfois ralentir

Comme je vous disais plus tôt, les élèves arriveront tous avec un bagage émotif différent à cause de la Covid. Il en va de même pour l’aspect pédagogique. La scolarisation du printemps 2020 aura été bonne (voir bénéfique) pour certains et désastreuse pour d’autres. Pour faire preuve d’empathie, il faudra ralentir, ne pas être tenté d’essayer de reprendre toute la matière manquée dans le premier mois. Les élèves ont pris du retard ? Par rapport à qui ? Tout le monde est dans le même bateau. Allons-y au rythme des élèves. Pour répondre aux différents besoins pédagogiques des élèves, pourquoi ne pas offrir des choix pour ce qui est du travail à faire en classe ? Ainsi, moins d’élèves risquent d’être dépassés par la matière. 

Comme je le mentionnais dans un billet de blogue pré-Covid, on doit mettre l’accent sur la croissance plutôt que sur la performance. La Covid vient renforcer cette impression. Comme le mentionne Chouinard dans son article, les élèves auront besoin de connaître rapidement du succès pour remplir leur besoin d’estime de soi. Cela sera rendu possible en leur permettant d’être évalués de manière flexible et en leur donnant de  la « rétroaction constructive sur les points à améliorer.» Bref, les élèves auront besoin de savoir rapidement qu’ils progressent…même si c’est à petits pas.

9- Réduire le fossé entre l’école et la maison

En mars dernier, lorsque les écoles ont fermé, plusieurs lacunes de notre système d’éducation ont été exposées au grand jour. Outre les carences en technologie, je crois que le fossé entre l’école et la maison est celui qui a mis le plus de sable dans l’engrenage éducatif.

Plusieurs parents ont appris l’identité des enseignants de leurs enfants…en avril. De l’autre côté, j’avoue, j’ai communiqué avec des parents pour la première fois en mai pour indiquer qu’un travail n’avait pas été remis.

Je ne soulève pas ce point pour trouver des coupables.

En cette rentrée “covidienne”, on se doit de réduire le fossé entre l’école et la maison.

Communiquez (téléphone ou courriel) avec les parents dans les premières semaines d’école pour les rassurer par rapport au retour en classe de leur enfant. Prévoyez une « soirée portes ouvertes” sur Meet ou Zoom pour présenter votre approche. Bref, jetez les bases pour faciliter les communications futures.

Marc-André Carignan mentionne dans son excellent ouvrage que l’école devrait être le coeur d’une communauté. S’ouvrir sur celle-ci. En période de distanciation sociale, cela est non seulement faisable, mais nécessaire. L’élève doit sentir que les adultes dans sa vie sont tous là pour le même objectif : l’aider à grandir, à s’améliorer et à naviguer à travers les changements.

10- S’habituer au changement

L’historien Yuval Noah Harari a écrit dans son ouvrage en 2018 que l’école doit préparer les apprenants au changement. Pour réussir dans le futur, il ne suffit plus d’innover et d’inventer de nouvelles choses, mais surtout de savoir se réinventer constamment. Je sais que l’expression a été utilisée à toutes les sauces depuis le début de la pandémie, mais elle demeure pertinente. 

Dans le même ordre d’idées, dans son épisode du 12 août dernier, John Maxwell mentionne dans son balado que dans la situation actuelle, nous devons embrasser le changement plutôt que d’essayer de l’éviter. Ainsi, nous allons tous commencer l’année scolaire avec un plan en tête pour affronter la pandémie dans nos écoles. Cependant, nous devrons faire preuve d’agilité pour nous ajuster en cours de route. Comme le mentionne Maxwell, pensez en termes d’options plutôt que de direction. 

11- Favoriser une pédagogie active

Quoi de mieux pour garder nos élèves motivés que de leur donner des options et de les mettre en action ? Que ce soit en personnel ou en ligne, nous devons engager l’élève dans son apprentissage. Évitons les exercices répétitifs et optons pour des tâches complexes. Des tâches où les élèves auront à se questionner et à chercher des réponses à leurs interrogations, comme c’est le cas dans l’approche par enquête. Mais attention, d’expérience, cela déstabilisera vos élèves. Ils vous demanderont de travailler dans le manuel ou d’avoir des cours « normaux»  où ils peuvent juste écouter et prendre des notes. 

Ne vous laissez pas leurrer, parfois les élèves ignorent ce qui est bon pour eux. Une récente étude issue des départements de chimie et de physique de l’Université Harvard a démontré que les élèves avaient l’impression d’apprendre beaucoup plus dans un cours magistral que dans un cours où ils étaient mis en action. Pourtant, lorsque les chercheurs ont mesuré les apprentissages, il s’avérait que ceux qui avaient pris une part active dans leur apprentissage avaient progressé davantage.

En mettant vos classes en action, vous et vos élèves serez prêts à toutes éventualités. Que ce soit en ligne ou en classe, l’apprentissage se continuera sans trop de problèmes.

Cependant, pour en arriver là, il faut commencer l’année en amenant vos élèves à devenir des apprenants de plus en plus autonomes.

12- Garder la flamme allumée

Le défi le plus colossal risque de garder notre flamme allumée. Ne pas se laisser « éteindre»  par les défis, les épreuves et les périodes de recul que nous rencontrerons inévitablement. Présentement, je dois limiter les photocopies que je donne à mes élèves, ceux-ci n’ont pas accès aux appareils électroniques et je n’ai pas assez de manuel pour tout le monde.

On ne construit pas une navette spatiale avec du vieux bois et des clous rouillés. Pour passer à travers, il faudra peut-être ajuster nos attentes à la baisse.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, il faudra se serrer les coudes entre collègues pour se supporter, faire preuve d’empathie et prendre le temps de connecter avec les élèves. En sommes, se rappeler POURQUOI on est là. 

7 réflexions sur “Les 12 travaux du pédagogue au temps de la pandémie”

  1. Wow Alexandre! Ça c’est tout un texte! Je l’avais vu passé et je n’avais pas eu le temps de le lire. Non mais c’est tout simplement Ma-Gni-Fi-Que! Bravo! On partage sans modération!

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    1. Merci beaucoup, vous êtes à U. Laval ? Pour vos étudiants, je vous conseille aussi d’aller lire deux autres de mes articles: « 10 choses que j’aurais aimé savoir en sortant de la faculté » et « La performance vs. l’apprentissage ». Merci de me lire et de partager mes textes!

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  2. Bonjour Alexandre et merci pour ce texte que j’ai partagé avec joie à tous mes collègues conseillers et conseillères pédagogiques. Ce texte reflète la réalité vécue dans les écoles en plus de mettre en lumière tout ce que nous avons à faire pour conseiller
    et supporter les enseignants en classe ou à distance en ce moment. Comme CP disciplinaires, nous devons nous-mêmes nous mettre au diapason et devenir des « experts» de l’enseignement à distance. Votre billet nous rassure en mettant l’humain en premier et le Programme ensuite.
    Au plaisir, de vous lire encore et souvent.
    Monique

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