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L’illectronisme: comment un illettré peut-il enseigner ?

image de Unsplash

Illectronisme : maîtrise insuffisante des compétences numériques de base, nécessaires à toute personne pour effectuer de manière autonome les actes de la vie courante. (Maroun, 2022)

Ça fait déjà un peu plus d’un an que ChatGPT est entré dans nos vies. 

Qu’on le veuille ou non, l’I.A. est venu perturber le monde de l’éducation à une vitesse fulgurante. Si au début il s’agissait pour plusieurs d’une autre curiosité numérique, elle est vite devenue une incontournable dans presque toutes les sphères de la société.

En éducation, certains font encore le choix d’ignorer l’intelligence artificielle générative. Ces mêmes pédagogues espèrent que les élèves ne vont pas découvrir cet outil révolutionnaire.

 “Si les élèves commencent à utiliser l’I.A. dans leurs travaux qu’est-ce qu’il va me rester à leur enseigner ?

La question est légitime. Cette technologie est en effet déroutante par sa simplicité et son efficacité.

Faire face au changement

Devant le changement il est impossible de rester neutre, on ne peut qu’avoir deux réactions : changer intentionnellement ou subir le changement.

Lorsqu’on ignore ou refuse le changement, cela crée de l’inconfort, de la frustration et un sentiment de perte de contrôle. Comme si le train avait quitté la gare et qu’on était resté sur le quai.

Certains enseignants tentent de retarder le changement en ne voulant pas se faire damer le pion. Ils veulent éviter de mal paraître en essayant de rester un pas devant les élèves: ils ont copié un travail d’internet, allons voir dans Turnitin pour en découvrir le niveau d’authenticité.

Bien sûr, on peut encore utiliser des logiciels/ applications pour voir si le travail a été fait par un I.A., mais je vois quelques problèmes avec ça. 

Premièrement, ces outils sont moyennement efficaces et peuvent être facilement déjoués par les élèves qui s’en donnent un peu la peine.

 Deuxièmement, essayer de prendre les élèves la main dans le sac c’est nier la réalité. Je le répète depuis plusieurs années (bien avant l’arrivée de l’I.A.) si les élèves trichent sur nos évaluations/travaux, cela en dit peut-être plus sur la qualité de nos évaluations/travaux que sur la qualité de nos élèves.

Bref, il est déjà évident qu’une grande partie des tâches que nous demandons aux élèves peut être faite en moins d’une minute par l’I.A. Comme l’a constaté un de mes amis: ça prend maintenant plus de temps pour formuler la question que pour obtenir une réponse.

Ok, donc on fait quoi maintenant ? 

Tout change lorsqu’on embrasse le changement, qu’on monte dans le train. Premièrement cela a tendance à augmenter notre sentiment de compétence, on est juste assez déstabilisé pour pouvoir continuer à grandir. Deuxièmement, parce qu’on se sent compétent, on peut être un peu plus autonome face à cette nouvelle technologie, elle ne nous contrôle pas. Troisièmement, plus on la maîtrise, plus  on en arrive à créer des liens entre cette nouvelle techno et notre vie, nos besoins. Bref, le sentiment de compétence + sentiment d’autonomie + le sentiment de connexion; on obtient une personne motivée. (Ryan et Deci, 2000)

On saute dedans!

Cependant, avant de commencer, il faut réfléchir en portant un regard critique sur nos programmes cadres/curriculums.  Il faut se questionner sur la pertinence de ces derniers à la lueur de cette nouvelle réalité qu’apporte l’I.A.

Que faire quand la vie change plus vite que le programme ?

Pour reprendre les mots d’une ancienne collègue, le curriculum est un contexte dans lequel on enseigne notre matière, il nous dit quoi enseigner, pas comment le faire. Il ne faut surtout pas que le curriculum devienne un prétexte à la stagnation pédagogique.

D’accord, mais en salle de classe,  ça ressemble à quoi ?

  1. Éduquer

Premièrement, plus que jamais, il faut que les élèves sachent comment utiliser les outils numériques de manière éthique et responsable. Bref, il faut que les élèves soient formés à la littératie numérique. Qu’ils apprennent à utiliser l’I.A. comme un tuteur, un co-pilote.

Par exemple, comment demander à ChatGPT de l’aide pour rédiger ou corriger un texte ? Alice Keeler a produit une série de questions concrètes pour outiller les élèves à l’utilisation éthique de l’I.A. comme un tuteur. Je vous partage ici les affiches que j’en ai fait pour ma classe (traduites en utilisant l’I.A. 😀).

  1. Ajuster

Comme je le disais plus haut, on doit se questionner par rapport à ce qui sera pertinent dans notre matière. Pour ma part, j’enseigne le français et les études sociales. Je crois que les habiletés en lecture et en communication orale prendront la pôle devant les compétences en écriture pour comprendre le monde. 

Je crois aussi que mes élèves auront besoin d’utiliser davantage leur créativité, leur esprit de collaboration, leur pensée critique et toutes les autres compétences transférables. Quelle belle occasion de mettre les apprenants en action. A.J. Juliani mentionne que les “performance task” (saynètes, expériences scientifiques, manipulations, constructions, etc) devraient prendre plus d’importance dans cette nouvelle réalité. 

  1. Réorienter

Un peu comme quand notre GPS rencontre une fermeture de rue imprévue et doit modifier le trajet pour nous amener à destination, l’arrivée de l’I.A. générative nous demande aussi de faire une telle manœuvre. Chaque avancée technologique nous fait remettre en question ce qui doit être enseigné.

Combien d’entre nous sommes capables de calculer une racine carrée sans calculatrice ?

Depuis un moment déjà, les pédagogues utilisent les productions, les conversations et les observations (la triangulation) pour porter un jugement par rapport à l’apprentissage de leurs apprenants. Je crois qu’il est peut-être temps de remettre en question ce modèle. Est-il temps d’accorder un peu moins d’importance aux productions pour laisser plus de place aux conversations et aux observations ? 

Plus que jamais, je dois me questionner sur le “pourquoi” de ce que j’enseigne. Auparavant, la remise d’un travail de qualité par mes élèves était garant d’un apprentissage concret. Aujourd’hui, avec l’I.A., l’élève peut remettre une production de qualité sans avoir appris. Comment alors vérifier qu’il y a belle et bien eu un apprentissage ? C’est ici que les conversations et les observations prennent leur importance.

Et si l’apprentissage passait davantage par le processus que par le résultat final. Sans faire disparaître les productions, celles-ci devront prendre des formes différentes (voir A.J. Juliani ci-haut). 

Et nos collègues dans tout ça ?

Pour la plupart d’entre vous, ce virage s’effectuera relativement bien. Qu’en est-il de l’illectronisme de certains collègues, ceux qui sont affligés d’un illettrisme numérique ? Ils n’ont pas la capacité d’éduquer, d’ajuster ou de réorienter pour la simple raison qu’ils ne savent pas comment. Il est malheureusement encore commun d’avoir des enseignants qui sont incapable de partager un Google doc.

Nous devons les appuyer, les aider, les inclure dans nos conversations, faire en sorte que le plus de monde possible dans nos milieux fassent partie de la solution. 

Chaque fois qu’une technologie d’importance surgit, elle laisse derrière elle des personnes qui refusent et/ou qui sont incapables de l’adopter. Le fossé technologique a été mis en évidence lors de la pandémie, et l’arrivée de l’I.A. ne fera rien pour réduire cet écart. 

Bien sûr, il est encore possible de faire apprendre ses élèves avec un minimum de techno. Mais la technologie est un accélérateur à l’apprentissage. L’arrivée de l’I.A. en éducation vient mettre des moteurs à réaction à un planeur.

Pensez aux bienfaits pour les élèves ayant des besoins particuliers: on peut en quelques secondes utiliser l’I.A. pour générer des textes à leur niveau et selon leurs intérêts. 

Bref, il ne faudrait surtout pas que l’I.A. vienne créer un clivage dans la qualité de l’enseignement offert aux élèves. Ne pas utiliser le plein potentiel de l’I.A. en éducation serait comme piloter un avion sans utiliser les outils technologiques mis à sa disposition. 

Ça ne volera pas haut!

(Ce texte n’a pas été rédigé par une IA 😉 )

Ressources et inspirations

2 réflexions sur “L’illectronisme: comment un illettré peut-il enseigner ?”

  1. Salut Alexandre,

    Entièrement d’accord avec toi. C’est un outil puissant, mais qui requiert des connaissances de bases au minimum pour évaluer les réponses qu’ils nous donnent. Sans quoi, les usagers ne feront que créer des faux positifs…

    Processus, conversations et observations du processus en marche.

    Pascal

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