bienveillance, relations

2 histoires, 6 leçons, 1 page blanche

Le droit au changement

Il y a quelques années, alors que j’enseignais dans une autre école, j’avais une classe très difficile. Parmi les élèves de cette classe, un en particulier ressortait du lot, je vais l’appeler Bob pour les besoins du texte ici. J’avais beau essayer toutes les approches, il n’y avait rien à faire, je n’arrivais pas à connecter avec celui-ci. Son comportement rendait l’atmosphère de classe infernale et peu propice à l’apprentissage. 

Chaque jour j’essayais d’arriver avec une attitude positive, mais c’était peine perdu, Bob ne voulait pas travailler, il me lançait des insultes ainsi qu’aux élèves. Malgré les discussions avec l’élève, ses parents, les suspensions et autres conséquences: Bob demeurait fermé comme un cadenas dont je ne pouvais pas trouver la bonne combinaison. 

Je n’étais bien sûr pas le seul à vivre des difficultés avec Bob, mes collègues et moi nous partagions nos difficultés. Bref, tout le monde était à bout de ressources et de solutions.

Transportons-nous quelques années plus tard. Alors que j’enseigne dans une nouvelle école, je croise un élève qui ressemble à s’y méprendre à Bob.

 Après vérification, il m’avoue timidement que c’est bien lui. Il n’ose pas trop me regarder, craignant ma réaction. Dès que je commence à lui dire que je suis content de le revoir, je peux voir son stress redescendre.

Dans les semaines qui suivent, je croise Bob à l’occasion, à chaque fois je me fais un devoir de le saluer au passage. Un jour alors que j’étais en surveillance aux autobus, Bob passe à côté de moi et me dit : 

“tu sais monsieur, je réalise maintenant que tu étais un pas mal bon prof, j’étais juste un mauvais élève”.

J’en suis resté bouche bée. Quoi répondre quand ces paroles sortent de la même bouche qui, quelques années auparavant, vous invectivait. 

Dans les semaines suivantes, nous avons eu l’occasion de parler de sa “transformation” et Bob m’a avoué qu’il a changé d’amis, de milieu et que cela l’a grandement aidé. Je soupçonne qu’il y a sans doute plus qui se cache derrière cette transformation radicale, mais si Bob, sans aucun doute l’élève le plus difficile que j’ai eu en carrière, est arrivé à faire un 180° pour devenir un élève sérieux, cela est à la portée de tous.

Sauf que…

Des “Bob”, ces “terreurs” que l’on voit arriver dans nos classes, il y en a dans toutes les écoles. En début d’année, les enseignants s’échangent des informations sur les élèves et bien sûr il faut parler de “Bob” et de ses frasques des années précédentes. Il faut être prêt à montrer à “Bob” que cette année c’est moi le patron et que le party est fini.

Mais on oublie parfois un GROS détails…

Les enfants, il faut leur donner non seulement le droit de changer, mais aussi l’espace pour le faire. Leur laisser la chance de se réinventer.

Ce qui m’amène à ma deuxième histoire. Il y a plusieurs années, je parlais à une autre des “étoiles” de mon école. Un élève très turbulent, parfois insolent, régulièrement en retard et souvent suspendu.

Celui-ci me disait qu’il n’aimait pas que les profs connaissent son nom avant de le rencontrer. Car pour lui, c’était la preuve que cet enseignant avait entendu parler de lui et de ses frasques et qu’il s’était déjà fait une opinion (défavorable) à son sujet avant même d’apprendre à le connaître pour vrai.

Donc cela faisait en sorte qu’inconsciemment il se disait : “tu crois que je ne suis pas un bon élève et que je vais te donner des problèmes toute l’année ? Attache ta tuque, t’as rien vu encore!”

Donc quelles sont les leçons à retenir de ces élèves turbulents ?

  1. Les élèves qui sont devant nous ne sont pas des produits finis. Il faut se rappeler que peu importe leur âge, même les grands qui ont l’air d’adultes, sont en perpétuel devenir. C’est un de nos rôles de pédagogue de les aider à devenir des personnes respectueuses et responsables. Donc arrêtons d’être surpris et outré quand un élève a des écarts de conduite. Essayons plutôt de trouver de nouvelles approches pour essayer de connecter avec lui. 
  1. Nos élèves ont des vies hors de l’école. Je ne vous apprends rien en vous disant que certains de nos élèves vivent des choses qu’aucun enfant ou même qu’aucun humain ne devrait vivre. Je soupçonne que mon élève Bob vivait des choses difficiles qui rendaient sa vie frustrante et que l’école était peut-être sa soupape pour évacuer ce qui ne pouvait pas l’être ailleurs. Parfois, malgré tous nos efforts, on ne peut pas aider un élève à cheminer pour la simple raison qu’on n’a pas toutes les variables de l’équation.
  1. Tous les élèves ont droit au changement. Même si je n’ai pas tous les morceaux de l’équation, mon rôle de pédagogue est de leur offrir une page blanche chaque jour dans un environnement sain et sécuritaire pour leur démontrer que je crois qu’ils peuvent faire mieux. Cela se fait en valorisant non seulement la personne mais son potentiel. Leur montrer que je crois tellement en eux que je leur demande d’exploiter leur plein potentiel.
  1. Il ne faut pas accorder trop d’importance à la façade. Beaucoup d’élèves qui présentent des défis le font pour une (ou plusieurs) raisons. À nous d’essayer de connecter avec eux pour voir ce qui se cache derrière leur “armure”. Bref, une fois qu’on établit une relation avec nos élèves il faut étoffer celle-ci en s’intéressant à eux. Une phrase que je dis parfois à des élèves: “ je n’ai rien contre toi, tu es une bonne personne et je t’aime bien, c’est plutôt tes choix et le comportement qui en résulte que j’aime moins.” Tous les élèves ont besoin de se sentir aimé, surtout ceux qui sont parfois plus difficiles à aimer.
  1. Tous les élèves ont une voix, à nous de les écouter. l’enseignant Monte Syrie a écrit dans un tweet : Nous avons tendance à beaucoup parler de la voix des élèves, comme si c’était à nous de l’accorder. Peut-être devrions-nous plutôt parler des « réglages de l’enseignant ». Sommes-nous branchés sur la bonne fréquence ? Entendons-nous ? Pouvons-nous entendre ? Entendrons-nous ? Peut-être devrions-nous nous préoccuper davantage d’ajuster nos cadrans que de donner le micro. Plusieurs de mes plus grands moments de clarté en éducation m’ont été offerts pendant des conversations avec des élèves. Pour que cela se produise, il faut arrêter de parler et laisser l’élève remplir le silence, les résultats pourraient vous surprendre.
  2. Tout commence par l’empathie. Comme le mentionne la chercheure/auteure Brené Brown, l’empathie nous demande de devenir l’apprenant au lieu du savant. Et pour apprendre il faut écouter, s’intéresser à l’autre, essayer de voir le monde de sa perspective.

En ce début d’année j’irais presque à dire que je nous souhaite des élèves différents, des élèves qui nous sortiront de notre zone de confort, qui nous forceront à questionner certaines de nos pratiques, de nos approches. Comme le dit le vieux proverbe : Lorsque l’élève est prêt, le professeur apparaît. 

Vous aurez maintenant compris que les rôles sont parfois interchangeables.

Bonne rentrée!

Sources:

  1. Commencez avec une page blanche, littéralement, donnez à vos élèves une feuille de papier vierge. Demandez-leur de réfléchir en les guidant.
    1. Si cette feuille est ton année scolaire, de quoi voudrais-tu qu’elle ait l’air en juin ? Comment veux-tu te sentir en juin ?
    2. Ce qui est arrivé l’an dernier est passé, tes actions de l’an dernier n’ont pas besoin de guider celles de cette année. 
    3. Écris les mots que tu voudrais garder en tête pour que cette année soit ta meilleure année ? (vous pouvez leur donner une liste de suggestions)
    4. Écris 2 choses que tu dois commencer ou continuer à faire pour vivre une belle année.
    5. Écris 2 choses que tu dois arrêter de faire pour vivre une belle année.
    6. Qu’est-ce qui pourrait te faire dévier de ton plan ?
  1. Pour aller plus loin, dans les jours suivants, rencontrez chaque élève individuellement pour discuter de ce qu’ils ont mis sur leur feuille. Cela vous permettra de les rencontrer dans un contexte décontracté, vous pourrez discuter un peu plus en profondeur de leurs objectifs, mais surtout vous créerez des liens avec eux. Et comme tout bon leader, demandez-leur comment vous pouvez les aider à atteindre leurs objectifs. On peut revenir à cette feuille au courant de l’année pour garder des traces des progrès.

Cette stratégie a plusieurs objectifs. Premièrement, l’élève doit réaliser qu’il a le contrôle sur ce qui lui arrive, par ses décisions et ses gestes, il influence son devenir. Bref, développer son sentiment d’autonomie. Deuxièmement, cela aura un impact sur son sentiment de compétence:  j’ai écrit des choses sur ma feuille pour avoir une belle année, je suis capable de faire ces choses-là. Troisièmement, l’élève verra qu’il y a une connexion entre ce que l’on fait en classe et sa vie. Quand on joue sur l’autonomie, la compétence et la connexion, on commence à développer la motivation intrinsèque. (voir la théorie de l’auto détermination de Ryan et Deci)